Juillet 2012
Une nouvelle rhétorique pour accompagner le changement
La communication à destination des salariés est désormais considérée dans de nombreuses entreprises comme l’une des missions prioritaires du management. Mais il s’agit encore bien souvent d’une figure imposée, vécue par les intéressés comme un exercice de déclinaison de décisions prises loin du terrain. Tout comme les hommes politiques, les managers risquent de devenir prisonniers « d’éléments de langage » répétés en boucle avec le secret espoir de finir par emporter la conviction des salariés et de leurs représentants. Si la communication est bien l’art de la répétition, c’est aussi et surtout l’art de la reformulation qui permet d’adapter le discours aux circonstances et à l’auditoire. En la matière les « kits de communication » mis à la disposition des managers à l’occasion de projets de changement font souvent office de prêt à porter, mettant l’accent sur la rationalité et la nécessité du projet, présupposant un auditoire détachée de ses émotions, se projetant avec lucidité et confiance dans l’avenir.
L’expérience nous fait prendre conscience d’une toute autre réalité source parfois de perplexité pour le management. « Mais à quoi s’attendaient-ils d’autre que l’annonce d’une réorganisation dans un tel contexte économique ? » s’étonnent des dirigeants en parlant des salariés d’un établissement quand ces derniers recevant avec beaucoup d’espoir l’annonce du lancement d’un nouveau produit s’attendaient « à des efforts, mais pas à une telle saignée dont le site ne se relèvera pas ». La conscience et la mesure du temps sont souvent la première source d’incompréhension voire de contresens : quand un projet est enfin annoncé après plusieurs mois de réflexion et d’étude, il est souvent devenu urgent de le mettre en œuvre au risque de conduire au « pas de charge » une concertation sociale et de créer des tensions. De même l’interprétation des évènements qui se déroulent dans l’entreprise en fonction des clés de lecture à la disposition des différents acteurs est également à l’origine de malentendus qui peuvent s’avérer particulièrement difficiles à rectifier.
Développer une nouvelle rhétorique qui conduise à s’intéresser davantage au « micro » et à être moins péremptoire sur le « macro » est de plus en plus incontournable : reparler de l’organisation concrète du travail et plus seulement du volume d’emploi et de ratios de productivité, expliquer les étapes de la mise en œuvre du changement et les moyens qui y seront consacrés, s’efforcer de définir de manière concertée une approche acceptable d’accompagnement des transformations plutôt que de chercher à faire adhérer à une vision stratégique susceptible d’être remise en cause par l’évolution de l’environnement économique.
Il s’agit également de prendre en compte les inquiétudes et les peurs ravivées par la crise économique tout comme la montée d’un sentiment d’injustice et de méfiance vis-à-vis des dirigeants d’entreprise. Trouver les mots justes à mettre sur des maux parfois profonds requiert à la fois de l’humilité et du courage, celui de parler vrai alors que tout nous invite à nous dérober en usant de la langue de bois. L'enjeu est, comme le développe Karl Albrecht (L'intelligence sociale, le nouvel art des relations humaines, Les Editions de l'homme, 2007) celui de renforcer notre intelligence sociale, celle qui nous permet de construire une relation productive avec les autres. En exergue du premier chapitre de son ouvrage, ce même auteur de citer Victor Hugo : "On résiste à l'invasion des armées, on ne résiste pas à l'invasion des idées".