Novembre 2011
Réapprendre à argumenter
Au début des années 80, une émission de télévision intitulée « vive la crise » défendait avec optimisme les transformations de l’économie française confrontée au déclin des industries traditionnelles et à la montée d’un chômage structurel. La nouvelle vision de l’économie qui émerge alors au Royaume-Uni et aux Etats-Unis semble montrer l’unique voie à suivre : davantage de liberté d’entreprendre, moins d’interventionnisme étatique, plus d’ouverture économique au monde, une confiance retrouvée dans l’efficience des marchés.
30 ans après une nouvelle émission de télévision1 s’efforce à son tour de rendre intelligible les ressorts de la crise financière et l’ampleur de son impact sur l’économie réelle. Le discours a radicalement changé : les grandes figures néolibérales sont vertement critiquées, la déréglementation et la dérégulation stigmatisées, le creusement des inégalités largement souligné. Traders et fonds d’investissement deviennent les nouveaux boucs émissaires. Ce qui serait apparu comme un discours extrémiste et minoritaire il y a encore quelques années s’impose désormais presque comme une évidence. "Nous sommes les 99%" clame le mouvement Occupy Wall Street à l'automne 2011. Ce changement de perspective n’est pas sans conséquences sur le discours managérial et la communication à destination des salariés et de leurs représentants.
La rationalité des « business model », les choix stratégiques, le rôle des actionnaires, la loyauté indéfectible du management constituent autant de certitudes désormais sérieusement ébranlées. Il n’est plus possible d’asséner en Comité d’Entreprise un cours d’économie libérale pour convaincre de la nécessité d’un plan d’économies ou d’une cession d’activité. Les arguments d’autorité ont perdu de leur force quand ils n’ont tout simplement pas perdu toute capacité de conviction. Tous les syndicats raillent désormais les tenants du TINA 2 formule chère à Margaret THATCHER. Les indignés ont succédé aux résignés.
A l’heure où un sentiment de défiance se diffuse au sein de toutes les catégories de salariés, l’appartenance à un grand groupe est tout autant vécue comme un avantage que comme un facteur d’incertitude majeur. Il y a quelques années il était courant pour une direction de mettre en évidence les efforts d’investissements réalisés quand les représentants des salariés exprimaient leur mécontentement en matière salariale. A défaut d’être perçue comme généreuse, l’entreprise était créditée d’une volonté de développement. Aujourd’hui il n’est pas rare que le même argument suscite en retour un cinglant « si vous avez les moyens d’investir, vous avez les moyens d’augmenter les salaires ».
Alors que les décisions stratégiques peuvent devenir réversibles à court terme en raison d’un retournement des marchés ou d’un changement dans la politique des actionnaires, les DRH sont confrontés à un exercice rhétorique pour le moins inconfortable. Comment convaincre de l’intérêt d’un accord GPEC ou d’une refonte de l’organisation du travail quand l’horizon de temps n’est plus un plan à moyen terme mais un budget révisé ?
Et pourtant, plus que jamais, les salariés et leurs représentants attendent des explications, cherchent à comprendre le sens et la nécessité des efforts demandés et des projets mis en œuvre. Réapprendre à argumenter devient incontournable pour le management. Accepter le débat et la confrontation est salutaire : c’est l’occasion de constater que l’abandon des certitudes dogmatiques d’hier offre l’opportunité de nouveaux échanges sur l’activité, les métiers et l’organisation du travail. Accepter de reconnaitre ses erreurs d’appréciation peut conduire l’ensemble des parties prenantes à laisser de coté procès d'intention et préjugés pour rechercher des solutions nouvelles. La préparation des projets de changements doit ainsi accorder plus d’importance à l’analyse critique de l’existant, à la cohérence des objectifs poursuivis et à la crédibilité des plans de déploiement. Argumenter pour ne pas s'enliser.