Juillet 2011
Dialogue social dans l’entreprise : repartir à zéro !
Nous nous habituons peu à peu à une nouvelle et triste actualité sociale composée de précarité, souffrance au travail, suicide, négociation sous tension, séquestration, patrons voyous et syndicats en déclin. Face à la détresse de certains, la colère des autres ou l’apparent silence de la majorité des salariés, nous sommes de plus en plus enclins à témoigner notre compassion aux victimes et à demander réparation aux coupables. Alors que les syndicats semblent impuissants, l’opinion publique est appelée à la rescousse. Encore quelques efforts et nous seront revenus au début de la révolution industrielle, au moment où certains découvraient l’état social de la France avec effroi tandis que d’autres se fixaient comme dessein d’abolir le salariat.
La réponse ne viendra ni d’un retour au paternalisme et aux œuvres de bienfaisance, ni de nouvelles mesures hygiénistes destinées à prévenir les formes « mutantes » des dégâts du travail comme l’on combattait jadis l’alcoolisme ouvrier. Ce n’est pas non plus en multipliant les obligations de négociation collective que l’on parviendra à ranimer un dialogue social qui s’étiole, devenu dans de nombreuses entreprise un rituel institutionnalisé où domine le formalisme et les propos convenus au détriment d’un véritable débat. Bertrand Collomb, rappelait ainsi récemment « dès lors que le dialogue, au lieu d’être naturel, volontaire et informel, devient obligatoire, encadré par des règles, soumis à des sanctions, il tend à devenir une formalité légale pour les uns, une gesticulation pour les autres, et perd beaucoup de sa richesse ». Il ajoutait « le temps que j’ai personnellement connu, où un chef d’entreprise présidait un comité d’entreprise sans avocat, libre de sa spontanéité même lorsqu’il s’écartait du politiquement correct est révolu. » 1
Soit nous persistons dans le modèle de management social actuel, malgré les signes de plus en visible de son dysfonctionnement et les difficultés à enrayer la montée des tensions et des risques psychosociaux, soit nous acceptons de le réviser en profondeur pour prendre une nouvelle trajectoire. Changer mais pour quoi faire et aller dans quelle direction ?
D’abord convenir que la rhétorique victime / coupable conduit à accentuer encore davantage la juridicisation (l’importance accordée au respect formel du droit dans l’organisation de la relation de travail) et la judiciarisation (l’action devant les tribunaux) qui loin d’apporter un remède au mal ne font sans doute que l’enraciner davantage. Soyons lucide, le spectre d’une responsabilité juridique accrue, agit, au contraire de l’objectif recherché, comme un facteur supplémentaire d’exclusion des catégories identifiées comme les plus fragiles, et de développement de nouvelles formes de sous-traitance pour reporter ailleurs le risque. Le propos n’est pas d’instaurer un régime de Droit dérogatoire pour permettre à l’entreprise de « briser » les corps et « dompter » les esprits en toute impunité comme le dénoncerait Foucault 2 , mais bien au contraire de revenir à l’essentiel : le débat sur l’organisation du travail et le management de la relation sociale.
La montée de l’individualisme et le déclin des formes de médiation traditionnelle qui ont gagné le monde de l’entreprise, apparus d’abord comme une aubaine pour les directions, constituent désormais une redoutable menace. Après des années de luttes sociales qui ont marqué la génération des DRH des années 70 et 80, le déclin des syndicats et la dépolitisation du dialogue social dans l’entreprise ont été accueilli avec satisfaction par les directions des grandes entreprises. Moins de collectif et plus d’individuel ont très largement orienté les politiques RH au cours des 10 dernières années. L’intéressement, la reconnaissance des performances individuelles ont pris le pas sur les discussions sur le développement de l’entreprise et l’organisation du travail. Alors même que le Législateur renforçait les prérogatives des institutions représentatives du personnel dans l’entreprise (possibilités d’expertise, obligation de négociation …), le dialogue social s’est considérablement appauvri. Derrières les épais rapports des experts et les innombrables pages des minutes des réunions de CCE, CE ou CHSCT, il y a bien souvent qu’une apparence d’échange qui laisse les acteurs sur leur faim. « On se parle mais on se comprend pas » disent souvent les représentants du personnel au sortir de réunions qui s’éternisent avec la direction de leur entreprise. Et les salariés d’ajouter « à qui faut-il s’adresser pour se faire entendre ? »
Nicolas MADINIER
Directeur fondateur du cabinet NM SOCIAL STRATEGY & CHANGE
1. " La démocratie dans l’entreprise", conférence à l’Académie des Sciences Morales et Politiques, le 8 février 2010.
2. Surveiller et punir, Gallimard, 1975