Février 2020
Faut-il craindre un retour des conflits sociaux dans les entreprises ?
Les entreprises sont exposées à un risque accru de tensions sociales dans le contexte actuel de contestation sociale. Préserver la qualité du dialogue social est un enjeu stratégique.
L’enlisement du conflit sur les retraites qui n’est pas parvenu à déboucher sur un mouvement social d’ampleur susceptible d’entraîner un abandon du projet de réforme, satisfera sans doute le gouvernement. Pour les entreprises confrontées à un risque de regain des tensions sociales, la perception sera probablement différente.
L’enchaînement des événements sociaux depuis plusieurs mois, illustre à la fois la poursuite du déclin des syndicats dont la capacité de mobilisation s’est très fortement amoindrie, et le retour d’un activisme plus radical conjuguée à une banalisation de la violence qu’il s’agisse du déferlement de haine sur les réseaux sociaux ou des dégradations de biens, voire des agressions physiques.
Les entreprises, à l’exception de celles des transports ou de l’énergie dont les régimes spéciaux de retraite sont remis en cause, ont été - jusqu’à présent - relativement épargnées par les tensions sociales. Cette situation va-t-elle durer ?
Persistance d’un climat de contestation sociale
Si les grèves et les manifestations ont décliné depuis plusieurs semaines, la contestation demeure dans de nombreux secteurs d’activités (enseignement, santé) et s’installe de manière inédite chez les avocats. Les efforts de « pédagogie » et la répétition des mêmes éléments de langage de la part du gouvernement et de sa majorité, n’ont pas permis d’emporter la bataille de l’opinion. L’incertitude sur l’évolution du niveau des pensions et le sentiment d’un nouveau risque de déclassement - en particulier pour les cadres et les enseignants – resteront dans les esprits, malgré les affirmations contraires des partisans de la réforme.
Le clivage désormais décrit entre deux France, celle qui s’épanouit dans la mondialisation (les « anywhere ») et celle qui s’attache à préserver son identité et son statut (les « somewhere ») se retrouve également au sein des entreprises où un fossé se creuse entre le « top management » et les salariés présents dans des sites éloignés des grandes métropoles.
Regain de revendications dans les entreprises
Alors que la question de l’âge de départ à la retraite et de celle de la prise en compte de la pénibilité sont au cœur des échanges entre les partenaires sociaux et le Gouvernement, les entreprises publiques et privées risquent d’être confrontées à des revendications croissantes concernant à la fois les rémunérations, l’emploi et les conditions de travail.
Le niveau des rémunérations
La question du niveau des rémunérations redevient centrale dans un contexte où les nouvelles générations accèdent à des statuts sociaux perçus comme moins favorables que ceux dont bénéficiaient les générations précédentes. En mettant en exergue dans le projet de réforme des retraites, une « avancée » en termes de niveau de pension pour les carrières linéaires au niveau du smic, le Gouvernement projette implicitement une dynamique salariale inquiétante, à rebours de celles des décennies passées.
Le devenir des emplois « traditionnels »
Les inquiétudes sur le devenir des emplois « traditionnels » vont continuer à s’accentuer à mesure des annonces de projets de restructuration dans des secteurs tels que la distribution, la banque ou l’automobile. Si le recul du chômage constitue incontestablement une bonne nouvelle, au niveau macroéconomique, il se traduit au niveau microéconomique par des mobilités professionnelles, sources d’appréhension et souvent de contraintes nouvelles pour les salariés les moins qualifiés. Les prochains plans sociaux, en fonction de leur ampleur, risquent de raviver des tensions sociales latentes.
Les deux faces de la transformation des entreprises
La transformation des organisations se traduit selon les secteurs et les activités par des effets parfois opposés, avec d’un côté à la fois plus d’autonomie, de valorisation des compétences et moins de pesanteurs hiérarchiques, et de l’autre, une rationalisation poussée des tâches conduisant à une forme de « néo-taylorisme » dans certaines activités de services. Celles-ci voient leurs conditions de travail se dégrader, perdre en attractivité et les risques de conflits s’accroître alors même qu’elles constituent des gisements de création d’emplois.
Ne pas laisser s’accentuer le sentiment de mépris et d’injustice
Dans ce contexte, à défaut de pouvoir s’affranchir des contraintes économiques et des dynamiques sectorielles, les entreprises peuvent s’efforcer de prévenir les tensions sociales en étant attentifs à ne pas laisser s’accentuer un sentiment d’absence d’écoute ou de mépris (ce qu’a illustré récemment, le rejet malencontreux d’un amendement portant sur l’allongement du congé en cas de décès d’un enfant) et d’injustice (alimenté symboliquement par le niveau atteint en 2019 des versements de dividendes et des rachats d’actions des grandes entreprises).
Préserver la qualité du dialogue social dans l’entreprise, entretenir des relations de confiance mutuelle avec les représentants des salariés et conduire des négociations équilibrées sont plus que jamais nécessaires.