Mars 2020
Le dialogue social au temps du Covid-19 : construire un avenir commun
Souvenons-nous c’était hier : les transports étaient à l’arrêt, certaines organisations syndicales appelaient à la grève générale, le gouvernement et sa majorité étaient déterminés à faire adopter la réforme des retraites. Après les gilets jaunes, les appels des salariés les plus précaires, la mobilisation des personnels de santé témoignait à nouveau de la profondeur de la fracture sociale et territoriale.
Le Covid-19 déclenche une course de vitesse pour sauver des vies : adopter rapidement les bons gestes et prendre les bonnes décisions, sans polémique stérile. Il est question de mobilisation, non plus contre un projet mais pour notre survie. Notre « ennemi commun » n’a toujours pas de visage, mais pour l’heure ce n’est pas la finance mais un virus.
La nouvelle « guerre » qui est déclarée change la donne : sans action concertée, sans coopération, sans recherche du bien commun, l’issue risque d’être fatale économiquement. Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés nous dit la fable célèbre.
Contraintes budgétaires et compétitivité économique semblent en l’espace de quelques jours appartenir à une rhétorique du monde « d’avant ».
Les secteurs indispensables à notre survie et à celle de l’économie doivent continuer à mobiliser des salariés et des prestataires en faisant appel à l’esprit de solidarité et de responsabilité. Ceux-là même qui pour nombre d’entre eux ont été négligés (personnels de santé) voire relégués hors du salariat (livreurs, prestataires de services …).
Le « social » n’est plus un frein potentiel au développement de l’activité économique, il devient essentiel à sa résilience. Il n’est plus question de passer « en force » pour imposer un changement trop souvent insuffisamment expliqué et motivé, mais d’amener chacun à consentir individuellement à la nécessité commune clairement explicitée.
La suspension du cours des réformes nous invite à remonter dans le temps social, pour rejouer différemment la partie dans quelques semaines, quelques mois, nul ne le sait très bien encore. Comment s’efforcer de bâtir un nouveau « compromis social historique » ?
La symétrie des attentions
Le client roi auquel les salariés doivent se soumettre n’est plus de mise. La symétrie des attentions (l’attention portée aux collaborateurs détermine la qualité du service client) est plus que jamais d’actualité. Absentéisme et droit de retrait ne sont plus simplement une question de droit du travail, c’est désormais un enjeu crucial. Il ne faudra plus demain se limiter au suivi des indicateurs et au respect des règles, mais s’attaquer aux causes internes pour mettre en œuvre de nouvelles régulations sociales (prendre davantage en compte les remontées du terrain pour mieux prévenir les risques, privilégier le retour d’expérience plutôt que l’abondance du reporting ….). Dans l’urgence, l’obligation de résultat en matière de sécurité est impossible à garantir, celle de moyen en revanche est impérative, pour ne pas dire morale.
Le sens du travail
Ceux dont nous admirons le dévouement, ne font pas simplement leur travail dans des conditions particulièrement difficile. Ils accomplissent une « œuvre » comme l’exprimait Simone Weil. Le métier retrouve toute sa noblesse quand la décomposition « gestionnaire » des tâches cesse.
Le déploiement à grande échelle du télétravail pour permettre à l’entreprise de continuer son activité « hors les murs » ou le dévouement des salariés aux compétences critiques pour assurer la continuité des activités essentielles, reposent sur un pacte implicite de résilience : nous pouvons nous en sortir plus fort tous ensemble. L’entreprise à mission n’en est qu’à ses débuts.
Le partage des risques
La crise rebat les cartes et repose la question de la répartition du risque et de la responsabilité. Promis à s’effacer face aux nouvelles formes de travail, le salariat pourrait se révéler plus adapté à la montée des incertitudes et des risques. Plus de précarité, d’intermittence et de « marchandisation » de l’activité individuelle n’apporteront pas de réponse durable au problème posé.
C’est à un nouvel équilibre dans le partage des risques et des gains qu’il faut réfléchir, en associant « l’engagement » du salarié (sa disponibilité et ses compétences) et la « sécurité » qu’il reçoit en retour (conditions de travail, rémunération, stabilité de l’emploi et accompagnement pendant les périodes de difficultés ou de transition économique).
Demander à certains de « jouer leur peau » pour reprendre l’expression de Nicholas Taleb, alors que d’autres resteraient à l’abri de toutes formes de risques et n’assumeraient aucune responsabilité, n’est ni socialement acceptable ni soutenable économiquement.
Entre la « sécurité sociale professionnelle » défendue il y a quelques années par la CGT et la « flexisécurité » promue par la majorité présidentielle, le fossé pourrait en grande partie se combler.
Coopération et auto-organisation
Certains céderont à la tentation de développer le contrôle social en même temps que celui des frontières. C’est oublier un peu vite que c’est précisément ce même contrôle social qui a freiné la propagation de l’épidémie en Chine, qui a favorisé son irruption en réduisant au silence le premier médecin lanceur d’alerte. Pour prévenir une nouvelle crise, c’est l’intelligence des acteurs, leur sens des responsabilités et leur capacité à sortir du cadre pour prendre les bonnes décisions et agir de manière coopérative qui feront la différence. Pas une nouvelle ligne Maginot, ni une accumulation de procédures et de réglementations.
Un nouvel agenda de négociation
Dans l’urgence, des dispositions exceptionnelles doivent ou devront être prises dans les entreprises pour adapter de manière concertée l’organisation du travail, préserver l’emploi et répartir équitablement les efforts demandés à tous.
C’est aussi le moment pour chacun des acteurs du dialogue social de faire table rase des vieilles rancœurs pour se préparer à bâtir ensemble par la négociation, de nouveaux accords permettant à l’économie de continuer à fonctionner et plus tard de redémarrer durablement.