Janvier 2016
Vers une révolution du Droit du Travail ?
Le nouveau chantier de la réforme du Droit du Travail est à l’image de ces grands projets publics : ambitieux, annoncés à l’avance, rarement consensuels, soumis à de multiples difficultés de réalisation et dépassant largement les délais (et les coûts) prévus pour leur réalisation, au risque d’être achevés à une époque où leur pertinence est remise en cause. De quoi parle- t-on depuis quelques mois ? Ni plus ni moins que de refonder le Droit du Travail qui serait réduit à quelques principes fondamentaux autour desquels se déploierait la vaste architecture des relations de travail, susceptible d’être adaptée au sein de chacune des entreprises ou de leur branche d’activité par la négociation entre des acteurs représentatifs et déterminés (enfin) à jouer le jeu.
Il est craindre que la question de la réforme du Droit du Travail ne devienne semblable à celle de la réforme de l’Enseignement, sujet tout aussi essentiel, indéfiniment remis sur la table, soumis aux aléas des alternances politiques, sacrifié à la tentation des annonces de court terme et ignorant les évolutions déjà engagées au risque de retarder les évolutions structurelles nécessaires.
Pourtant, les réformes du Droit du Travail se sont succédé régulièrement depuis les lois Auroux, vécues en leur temps avec une grande inquiétude par les directions d’entreprises, permettant non sans difficultés et parfois de revirement, de renforcer l’exigence de représentativité des représentants du personnel, de conforter le rôle du dialogue social et de la négociation et de mieux encadrer les procédures collectives, objets d’une tentation permanente d’instrumentalisation par les parties prenantes dans l’entreprise. Les dernières évolutions issues en particulier de la Loi Rebsamen d’août 2015, commencent tout juste à se mettre en œuvre, de nombreux décrets restant encore à publier, que déjà l’attention se porte sur la nouvelle réforme à venir !
La profondeur de la crise économique, le lent redémarrage de l’activité et la persistance d’un taux élevé de chômage, justifient de toute évidence que la question du Droit du Travail soit abordée sans tabous, en reconnaissant que son modèle de référence implicite, celui de l’usine ou du grand siège social, correspond de moins en moins à la réalité à laquelle est confrontée la grande majorité des salariés, quelle que soit la forme de leur contrat de travail. Faut-il pour autant, céder à la tentation d’une « révolution » du Code du Travail au risque de remettre en scène le spectacle habituel des oppositions dogmatiques et de reléguer au second plan les évolutions réussies dans les entreprises, parfois mêmes les innovations, conduites de manière concertée avec les représentants du personnel ?
Tirer les enseignements des effets dans les entreprises des changements récents introduits dans le Droit du Travail, corriger leurs imperfections voire leurs incohérences, mieux comprendre la dynamique des acteurs et les ressorts du dialogue social dans l’entreprise, seraient un préalable utile pour nourrir de nouveaux chantiers, déterminer un objectif commun et un horizon de temps réaliste.
On prête à E. Faure, cette formule, concernant une réforme qu’il conduisait : « en décrétant le changement, l’immobilisme s’est mis en place et je ne sais plus comment l’arrêter ». La poursuite de la transformation du Droit du Travail est un enjeu majeur, qui touche à l’avenir de notre économie, à notre modèle de société et à sa régulation sociale. Espérons qu’il soit appréhendé dans toute sa complexité.